Droit rural Les servitudes établies par la loi
Une servitude est un doit réel immobilier attaché au droit de propriété dont elle suit le sort et dont le respect s’impose à tout propriétaire du fonds servant. Ainsi, étant des droits réels, les servitudes restent attachées aux deux fonds entre lesquels elles ont été constituées en quelque main que l’un ou l’autre passe, malgré toutes éventuelles mutations de propriété. Les servitudes ne sont donc pas affectées par la vente des biens au profit ou à la charge desquels elles sont établies pourvu qu’elles aient été transcrites lors d’une première vente et même si les nouveaux actes de ventes n’en font pas mention. Dans cette seconde partie, nous allons traiter des servitudes établies par la loi.
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1 Servitudes établies pour l’utilité publique ou communale
Les servitudes pour l'utilité publique (© Terre-net Média) |
Les servitudes établies par la loi pour l’utilité publique ou communale sont encore appelées servitudes administratives. Elles sont d’ordre public et il n’est donc pas possible aux parties d’y déroger conventionnellement (Cass. civ., 3 févr. 1982 ; Gaz. Pal. 27 juill. 1982). Contrairement à la règle générale, l’existence d’un fonds dominant et d’un fonds servant n’est pas essentielle à l’existence d’une servitude établie par la loi.
Sauf stipulation contraire expresse, les servitudes d’utilité publique ne donnent pas lieu à indemnité (Cass. Req., 27 déc. 1869 ; DP 1870.419). Il y a toutefois lieu de distinguer, en pratique :
1-1 Les servitudes d’urbanisme pour lesquelles le principe de la non-indemnisation figure à l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme
La non-indemnisation concerne toutes les restrictions apportées au droit à construire, aussi bien par la loi elle-même que par un acte administratif pris en vertu de la loi (exemple : plan d’occupation des sols, surface maximale de construction, limitation de la hauteur, …). Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain. Cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif.
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Ainsi, une réponse ministérielle du 30 novembre 1967 a confirmé que le propriétaire qui, fort d’un permis de construire a déjà réalisé d’importants travaux de viabilité ou de construction pourra être indemnisé si une décision administrative annule le permis délivré.
Les autres servitudes administratives pour lesquelles une indemnisation est très souvent prévue par les textes qui les instituent.
Il faut remarquer que l’énumération de l’article 650 du code civil est loin d’être limitative et il existe plusieurs centaines de servitudes administratives. Nous signalons ci-dessous, à titre indicatif, les plus importantes servitudes établies pour l’utilité publique ou communale ainsi que les textes qui les concernent et auxquels il y a lieu de se reporter, le cas échéant.
1-2 Servitudes de curage et d’entretien des cours d’eau non domaniaux (art. L. 215-14 à L. 215-19 C. de l’env.).
1-3 Servitudes pour l’établissement des canalisations publiques d’eau ou d’assainissement, servitude de passage des conduites d’irrigation, servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien des canaux d’irrigation et de certains canaux d’assainissement (L. 152-1 à L. 152-13 C. rur).
1-4 Servitudes pour l’établissement d’ouvrages d’électricité
1-5 Servitudes de halage et de marchepied concernant les cours d’eau domaniaux (art. 15 à 22 C. du domaine public fluvial et de la navigation intérieure).
1-6 Servitudes au voisinage des installations classées
1-7 Servitudes de passage et d’aménagement établies par l’Etat pour assurer la continuité des voies de défense des bois et forêts contre l’incendie (art. L. 321-5-1 et s. C. forestier).
1-8 Servitudes de passage des piétons sur les propriétés privées riveraines du domaine public maritime (art. L. 160-6 et s. C. urb.).
1-9 Servitudes en matières en matière de télécommunications (art. L. 45-1, L. 48, L. 54 à L. 64 C. des postes et télécommunications).
Définition Selon l’article 637 du Code civil, les servitudes sont « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. » |
Les servitudes établies par la loi peuvent avoir pour objet l’utilité des particuliers (art. 649 C. civ.). Ces servitudes assujettissent les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention.
2- 1 Servitudes de plantations
L’article 671 alinéa 1 du code civil dispose qu’il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers ou par les usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et d’usage, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres et à la distance d’un demi mètre pour les autres plantations.
Il n’existe aucune disposition restrictive permettant de prendre en considération la configuration ou la situation respective des héritages en présence. Son application implique une référence à la hauteur intrinsèque des végétaux qu’ils concernent, indépendamment du relief des lieux où ont été effectuées les plantations et plus spécialement, du fait que les fonds concernés sont situés en contrebas, l’un par rapport à l’autre (CA Versailles, 14 déc. 1981 ; Gaz. Pal. 2 juin 1983).
La Cour de cassation a confirmé que les règles d’urbanisme peuvent faire échec à l’application de l’article 671 du code civil qui n’est que supplétif. La cour a donc approuvé une décision d’une cour d’appel refusant de faire arracher les arbres en infraction avec l’article 671, en raison du classement du site en zone boisée (CA Nancy, 20 oct. 1954 ; GP 1954.2.387).
2-2 Servitudes de construction
Selon l’article 674 du code civil, est obligé de laisser la distance prescrite par les règlements et usages particuliers, ou obligé de faire les ouvrages prescrits par les mêmes règlements ou usages, pour éviter de nuire au voisin, « celui qui fait creuser un puits ou une fosse d’aisances près d’un mur mitoyen ou non, celui qui veut y construire cheminée ou âtre, forge, four ou fourneau, y adosser une étable ou établir contre ce mur un magasin de sel ou amas de matières corrosives. »
La jurisprudence considère que cette liste quelque peu désuète n’est pas limitative et que l’article 674 suscité trouve application dans tous les cas où une construction est susceptible de nuire au voisin (une piscine notamment).
2 -3 Servitudes de cours communes
Il y a servitude de cours communes lorsque la délivrance d’un permis de construire est subordonnée à l’obligation pour le propriétaire du terrain voisin de ne pas bâtir ou de ne pas dépasser une certaine hauteur. A défaut d’entente, cette servitude peut être imposée par voie judiciaire (art. L. 451-1 et s. C. urb.).
2-4 Servitudes de vues et de jour
Les limites Une servitude ne peut être créée que sur des immeubles par nature (parcelle, fontaine) et non sur des immeubles par destination. |
Ces servitudes concernent toutes les propriétés privées. Elles sont inapplicables entre une propriété privée et une propriété du domaine public ou lorsque deux propriétés privées sont séparées par un terrain qui fait partie du domaine public (Cass. soc., 11 fév. 1944 ; DA 1944.49).
Précisons que les vues sont des ouvertures ordinaires, droites ou obliques. Les vues droites étant celles qui existent dans un mur parallèle à la ligne de séparation des deux fonds et les vues obliques étant celles pratiquées dans un mur faisant angle avec cette ligne. Lorsque deux fonds sont sur le même alignement, il n’y a aucune vue. Toutefois, si l’un des propriétaires établit un balcon, il en résulte une vue oblique.
Précisons aussi que les jours, souvent appelés jours de souffrance, sont des ouvertures grillagées munies d’un verre dormant, c'est-à-dire d’un verre fixe et opaque laissant seulement passer la lumière sans permettre la vue.
Aux termes de l’article 675 du code civil, l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant. Il ne peut donc y avoir ni vues, ni jours.
L’article 678 veut qu’on ne puisse avoir « des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l’héritage clos ou non de son voisin, s’il n’y a que 1,90 m de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions. »
L’article 679 rend applicables les règles de l’article 678 aux vues obliques, mais la distance à respecter n’est plus alors que de 0,60 m.
2 - 5 Servitudes de passage
L’article 682 du code civil permet au propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, de réclamer sur le fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner.
Cette règle n’est cependant pas applicable si l’enclave résulte du fait de celui qui la requiert (Cass. civ., 27 juin 1972 ; BC n°421), par exemple si le propriétaire a construit à l’endroit accédant à la voie publique (Cass. req., 21 juill. 1930 ; S. 1931.1.128).
Seule une personne titulaire d’un droit réel sur le fonds enclavé (propriétaire, usufruitier, emphytéote) peut exiger le passage (Cass. civ., 16 juin 1880). Il peut l’être même lorsque l’utilisation du fonds est mise en œuvre par une personne autre que le propriétaire à laquelle il a donné son agrément (Cass. civ. 6 juin 1969).
Un fermier est, en revanche, sans droit à se prévaloir de l’enclave pour obtenir une servitude de passage au profit du fonds qui lui est donné à bail (Cass 3e civ., 2 mars 1983).
En cas de cessation de l’enclave, et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant sur la voie publique est assurée de façon suffisante (Art. 685-1 C. civ.). A défaut d’accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice.
La servitude de passage peut s’acquérir conventionnellement soit si elle est plus favorable pour le propriétaire du fonds enclavé que celle résultant de la loi, soit au bénéfice d’un fonds non enclavé. Une telle convention, pour être opposable aux tiers, doit être établie par acte sous forme authentique et publiée au bureau des hypothèques. Elle obéira aux règles générales visant les servitudes établies par le fait de l’homme.
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